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VIPASSANA : CULTIVER UN ART DE VIVRE

Pour cette deuxième étape de mon exploration sur les communautés apprenantes, je me suis immergé au sein de la fameuse retraite de méditation Vipassana. Pendant 10 jours, je me suis assis en tailleur de 4h30 à 21h afin d’apprendre cette “méthode de transformation de soi par l’observation de soi”.

Bien plus qu’une retraite de méditation, ces 10 jours font figure d’un parcours initiatique pour accéder à une communauté de milliers de méditants et de méditantes à travers le monde.


Vipassana signifie "voir les choses telles qu'elles sont réellement". Enseignée depuis plus de 2500 ans, c'est une des plus anciennes techniques de méditation. Originaire de l'Inde, elle a su traverser les siècles et les continents pour se répandre aujourd’hui dans le monde entier.

Relancée par S. N. Goenka dans les années 1970, cette méthode de méditation vit un nouvel essor. Des milliers de personnes pratiquent cette technique qui vise à se concentrer sur les sensations de sa respiration et de son corps pour développer une compréhension profonde du lien entre le corps et l’esprit.


Elle est enseignée dans des cours de 10 jours où les participants et les participantes demeurent dans l’enceinte d’un centre, sans contact avec le monde extérieur. Ainsi, pour suivre cette retraite, j’ai dû respecter un code de discipline strict et respecter le silence complet pendant 10 jours. J’avais l’interdiction de lire, écrire ou communiquer avec les autres participants afin de me consacrer pleinement à l’apprentissage de cette méthode.


En vivant cette expérience forte et hors du commun, j’ai découvert la puissance de la dimension expérientielle dans l’apprentissage. Alors qu’apprendre est selon moi synonyme de transformation, une expérience comme celle-ci permet d’ancrer au plus profond de soi l’essence de ces apprentissages.

Mais au-delà de cette dimension transformatrice, je me suis aussi demandé comment une expérience personnelle peut devenir le terreau d’un apprentissage en communauté ?

APPRENDRE, C’EST SE TRANSFORMER


Ces 10 jours de méditation m’ont convaincu d’une chose : “Apprendre, c’est se transformer”. Lorsque l’on apprend une nouvelle pratique ou une nouvelle compétence, celle-ci ne vient pas juste s’accumuler à notre répertoire de “savoir faire”. Ce n’est pas simplement une ligne de plus sur notre CV.


Selon moi, le processus d’apprentissage revêt plus de l’ordre de la transformation que de l’accumulation. Certes, nous nous fondons sur un socle de compétences et de connaissances pour en acquérir des nouvelles. Mais il est nécessaire de remettre en question certains de ces acquis pour pleinement intégrer des nouveaux savoirs. Apprendre, c’est accepter de se détacher d’une part de soi afin d’en faire naître une nouvelle.

Lorsque nous apprenons, nous n’ajoutons pas une brique supplémentaire à une tour qui ne ferait que grandir au fil du temps. Lorsque l’on apprend, nous transformons l’architecture de cette tour pour construire un nouvel édifice.


Cette retraite de méditation a été pour moi une expérience réellement transformante. Je n’ai pas uniquement appris une méthode de méditation, c’est toute ma vision et mes interactions avec le monde qui ont été impacté.

Et cela est vrai pour chaque discipline ! En apprenant une nouvelle langue, ce n’est pas seulement un nouveau mode de communication que j’acquiers. Je cultive également une vision du monde beaucoup plus interculturel par exemple.


VIVRE SES APPRENTISSAGES


En partant du constat que l’apprentissage est synonyme de transformation, j’ai compris l’importance de vivre pleinement les enseignements. Si l’on veut se transformer (et donc apprendre), il faut laisser la pratique s’immiscer au plus profond de soi.


C’est pourquoi je suis convaincu de la nécessité de la dimension expérientielle dans l’apprentissage. Par exemple, durant ces 10 jours, j’ai pu travailler concrètement sur ce fameux “lâcher-prise” qui me fait tellement défaut. En devant rester impassible face aux douleurs causées par le maintien prolongé de ma position en tailleur, j’ai pu réellement m’approprier cette notion qui me paraissait parfois abstraite. C’est en restant assis pendant plusieurs heures dans la même position que j’ai réellement vécu ce “lâcher-prise” au plus profond de moi. Je vous rassure, en 10 jours, je ne suis pas devenu un grand sage totalement équanime, mais le chemin parcouru est sans commune mesure face à tous ces livres de développement personnel que j’ai pu lire auparavant.


Selon moi, la mise en pratique d’une théorie devient apprenante lorsque l’on en fait une expérience personnelle profonde. C’est en étant confronté à toutes les dimensions d’une discipline qu’on peut commencer à la comprendre réellement. Comme l’explique Martin Séligman, le père de la psychologie positive, le dépassement de soi est un levier important d’apprentissage, car il procure un sentiment d’accomplissement. Il aboutit alors à une sensation de progression qui stimule positivement l’apprentissage.

Alors même si c’est plus confort, on ne peux pas uniquement acquérir des notions en lisant des livres sous son plaid. Comme le disait mon cher professeur de techno “À un moment, il faut mettre les mains dans le cambouis”.


En ce sens, je suis heureux d’entendre Sylvie Retailleau, la ministre actuelle de l’enseignement supérieur et de la recherche, prôner l’apprentissage par projet et l’alternance. Mais qu’en est-il pour l’apprentissage tout au long de la vie ? Existe-t-il aujourd’hui des espaces dans les organisations pour faire pleinement l’expérience de nouvelles compétences ou de connaissances ? Des espaces d’immersion pour se confronter à toutes les dimensions d’une notion ?

Spoiler, ce sera le sujet d’une de mes prochaines étapes !


UN ENGAGEMENT (INTÉRIEUR) PROFOND


Cette transformation (apprenante) nécessite également un engagement profond ! En effet, il n’est plus à prouver que l’engagement est un levier indispensable d’apprentissage. Si l’apprenant ou l’apprenante ne s’investit pas pleinement, l’apprentissage ne sera que superficiel.


Alors que cette notion d’engagement est l’un des enjeux principaux des formations, les retraites Vipassana sont une source inspirante de sa concrétisation.

Aujourd’hui, la plupart des organisations incitent cet engagement au travers du prix de leur formation. Plus une personne paye sa formation chère, plus elle la suivra attentivement. Mais cette dimension financière a ses limites, car elle ne permet souvent pas d’inclure des personnes moins aisées et elle n’est pas applicable pour des formations universelles ou obligatoires comme l’éducation nationale.


En donnant ces cours de manière totalement gratuite, Vipassana propose un modèle alternatif fondé sur l’engagement moral. Cet engagement est tellement central dans la pédagogie du cours, qu’il en devient une notion de l’enseignement en tant que tel.

Dès l’inscription, j’ai dû promettre de suivre un code de discipline et de rester jusqu’à la fin de la retraite. Cette promesse a ensuite été renouvelée deux fois : lors de mon entrée au centre puis lors de la première méditation. Ce serment me sera ensuite régulièrement rappelé pendant les 10 jours en insistant bien sur la nécessité de suivre le cours sur toute sa durée. Une telle importance est donnée à cette parole qu’elle en devient presque “sacrée”.

Cette sacralisation de l’engagement est pour moi la clé de la dimension transformatrice de cette retraite ! En s’appliquant à tenir cette promesse, chaque personne s’est pleinement investie dans le cours et a ainsi pu en retirer tous ses bienfaits. De plus, n’ayant rien payé, je n’avais aucune exigence envers l’enseignement. J’étais donc plus disposé à me laisser porter par le processus pédagogique et vivre pleinement cette expérience.


Néanmoins, je me demande comment sacraliser cet engagement pour des formations obligatoires ? Toutes les personnes qui ont assisté à ce cours l’ayant fait par choix, il y avait déjà une certaine forme d’investissement. Je m’interroge donc sur la possibilité de développer un engagement sincère chez des personnes pouvant être indifférentes, voir même récalcitrantes, dans leur apprentissage.


CULTIVER UN ART DE VIVRE


Pour développer cette dimension expérientielle, la communauté a également un grand rôle à jouer. Selon moi, une communauté profondément apprenante prône plus un art de vivre qu’une discipline particulière.


Pour Vipassana, même si la pratique enseignée est la méditation, c’est tout un style de vie qui est prônée pendant les 10 jours de cours. En imposant un mode de vie bien spécifique (régime végétarien, réveil matinal, noble silence, etc…) ils créent le cadre fertile au bon enseignement de la méditation. Mais en même temps, ce mode de vie devient l’incarnation de la méditation dans notre vie quotidienne.


Vipassana ne nous apprend pas uniquement à bien méditer, mais nous apprend à devenir un bon méditant ou une bonne méditante.

Et je pense que toute communauté doit tendre vers cet idéal : “Enseigner un art de vivre plutôt qu’une discipline”.

Après tout, lorsque l’on souhaite apprendre quelque chose, notre objectif n’est-il pas de l’appliquer pleinement dans notre vie ? D’en faire un véritable “art de vivre” ?


UNE PARCOURS INITIATIQUE POUR APPRENDRE À NAVIGUER DANS LA COMMUNAUTÉ


Je compare souvent l’expérience dans une communauté à un voyage en pirogue : on navigue de projet en projet avec d’autres personnes pour avancer vers un horizon que l’on désire collectivement.


Comme pour toute expédition, on ne se lance pas dans ce voyage sans un minimum de préparation. Avant de se lancer dans cette aventure, il est indispensable de prendre le temps de construire une embarcation solide. On a beau avoir les matériaux et l’horizon qu’il faut suivre, construire une pirogue robuste prend du temps et puis il faut aussi apprendre à pagayer ! Chaque communauté ayant sa propre technique, il vaut mieux s’accorder avant de partir dans cette quête commune.


C’est pourquoi, il est bénéfique de créer une expérience initiatique pour entrer dans une communauté. Cette expérience permet à chacun de construire sa propre pirogue à partir des matériaux qu’on lui donnera (les valeurs de la communauté, ses moyens de communication, ses outils de gestion) et de lui enseigner l’art de pagayer au sein de la communauté. Cette expérience initiatique doit permettre à chacun de s’approprier ces contenus en vivant pleinement une expérience.

Construire sa pirogue peut être une épreuve difficile, mais une fois terminée, chaque membre cultivera une fierté immense d’avoir réussi cette épreuve et de s’être dépassé. Il s’ensuivra alors un engagement profond envers la communauté.


La retraite Vipassana est un formidable exemple d’expérience initiatique. Elle est la véritable porte d’entrée dans la communauté. Sans ces 10 jours de cours, il est impossible de rejoindre les groupes de méditation, de devenir bénévole ou bien même d’effectuer un don. C’est une formation obligatoire pour devenir membre.


Personnellement, à l’issue de cette retraite, je me sens pleinement appartenir à cette communauté, car ces 10 jours m’ont permis de :

  • Vivre une culture commune forte au plus profond de moi

  • Développer une pratique partagée par la communauté

  • Acquérir un socle de connaissances commun

  • Cultiver un sentiment d’appartenance en me dépassant physiquement et mentalement


Même si cette retraite exige un degré d’engagement élevé, elle conduit finalement à cultiver une communauté réellement active. Ces 10 jours ont fait d’une expérience personnelle, le tremplin d’une aventure collective.





ORCHESTRER LES TEMPS DE PARTAGE


Enfin, en gardant le silence complet pendant les 9 premiers jours, j’ai compris l’importance de la solitude au sein du processus d’apprentissage. Afin que l’esprit soit pleinement dédié à l’observation de soi et de ses sensations, je ne pouvais ni lire, ni écrire, ni communiquer avec les autres apprenants. Je pouvais néanmoins éclaircir des problèmes de méditation en m’entretenant avec l’enseignant durant les temps du midi ou en fin de la journée.


Au départ, je trouvais cette règle complètement inutile. En tant que grand défenseur de l’intelligence collective, je ne comprenais pas comment nous interdire de partager nos expériences nous empêcherait de suivre assidûment les enseignements.

Ce n’est qu’au dixième jour, lorsque nous avons pu de nouveau communiquer entre nous, que j’ai compris l’importance de ce silence. L’apprentissage de la méditation, comme d’autres disciplines, est un processus extrêmement personnel. Chaque personne vit cette pratique différemment et n’avance pas au même rythme. Si nous avions partagé durant les premiers jours, je me serais senti alors complètement désorienté en attendant les expériences des autres participants. Pourquoi ressentent-ils ce type de sensation et pas moi ? Pourquoi cela est-il si facile pour certaines personnes, alors que pour moi, chaque journée n’est que douleur ?


Au final, même si ce fut parfois dur, je suis conscient que cette solitude m’a permis de pleinement m’approprier les notions du cour.

Attention, ce n’est pas pour autant que je prône un apprentissage uniquement personnel. Je reste persuadé qu’il est même primordial d’apprendre collectivement en communauté. Néanmoins, je pense qu’il est indispensable de bien savoir orchestrer les temps de partage afin de permettre à chacun de vivre personnellement ses apprentissages. En se donnant le temps de l’expérience personnelle, les échanges n’en sont que plus riches.

Pour reprendre les mots de l’enseignant : “C'est à chacun de faire son chemin. Nul ne peut porter quelqu'un sur ses épaules pour atteindre le bonheur”.

CONCLUSION

Vivre une retraite de méditation Vipassana fut pour moi une expérience transformante à bien des égards. Durant ces 10 jours où je me suis dépassé autant mentalement que physiquement, j’ai compris l’importance de vivre pleinement les apprentissages afin de se les approprier au plus profond de soi.


J’ai également été fasciné par l’engagement de la communauté Vipassana. Même si aucune communication n’était permise pendant ces 10 jours, la dimension transformatrice de ces cours permet de créer un sentiment d’appartenance fort à la communauté.

À l’issue de ce parcours initiatique, chaque personne a vécu une transformation plus ou moins profonde (grâce à un engagement absolu dans le processus pédagogique) qu’elle souhaite ensuite diffuser le plus largement possible. Au-delà d’une discipline, c’est tout un “art de vivre” qui est enseigné pendant ces 10 jours. Une culture commune extrêmement puissante se crée où l’expérience vécue pendant la retraite devient un point d’accroche entre chaque membre de la communauté.


Ce parcours initiatique transforme alors une expérience personnelle en aventure collective. Il est donc pour moi un véritable levier pour apprendre un art de vivre et le cultiver au sein d’une communauté. Néanmoins, ce type d’expérience demandant un engagement fort pour obtenir son fameux “ticket d’entrée”, il questionne une dimension essentielle de l’apprentissage : “son accessibilité”.

MES INSPIRATIONS

  • Cette vidéo de l’association Vipassana résume bien la technique de méditation Vipassana, son histoire ainsi que l’ensemble des activités de la communauté.

  • Pour découvrir les enseignements de la méthode Vipassana, je vous conseille de lire “l’Art de Vivre” de William Hart. Une bonne introduction à la méthode avant de se lancer (ou de retrouver l’élan méditatif).

  • Cette retraite m’a permis de redécouvrir la puissance pédagogique des fables. Ces histoires, réelles ou fictives, partagées lors des discours du soir, ont rendu plus concrètes les notions abordées et m’ont aidé à les mémoriser en me rattachant aux émotions ressenties. Voici l’une de mes fables préférées sur l’intelligence collective : “Les aveugles et l’éléphant”.

  • Enfin, l’air de la musique “The Sound of Silence” m’a souvent accompagné pendant que mon esprit divaguait. C’est fou de voir qu’une chanson critiquait déjà une sur-communication où les mots sont vidés de leur sens dans les années 1960. Elle résonne pour moi comme un appel à retrouver du silence dans ce vacarme ambiant afin de revenir à une communication authentique.


    “People talking without speaking, people hearing without listening


    People writing songs that voices never shared, and no one dared”

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