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LES TERRASSES SOLIDAIRES : L’URGENCE D’ACCUEILLIR

Nous sommes le mardi 13 juin 2023, au large des côtes grecques, un bateau vétuste fait naufrage avec à son bord plus de 700 personnes exilées. Cette nuit-là, ce sont plus de 300 personnes qui perdront la vie. Des femmes, des hommes et des enfants qui ont mis leur vie en péril pour fuir leur pays.


En lisant cette terrible nouvelle le lendemain matin, je suis complétement déboussolé. Je me demande ce qui pousse ces personnes à prendre autant de risque. Mais surtout, pourquoi mon pays, la France, ne les accueille-t-elles pas plus dignement ?


Alors que les migrations internationales risquent d’augmenter fortement ces prochaines années, je souhaite comprendre cette réalité afin d’y répondre plus justement. Une réalité étroitement liée au dérèglement climatique puisque l’on estime que le nombre de réfugiés environnementaux va augmenter de 80 millions aujourd’hui à 200 millions d’ici 2050.


Des dizaines de questions se bousculent alors dans ma tête : Comment accueillir celui ou celle que nous désignons comme “l’étranger” ? Comment créer un échange culturel réellement équilibré ? Comment favoriser son intégration dans la communauté ?


Que ce soit à l’échelle de l’Europe, de la France ou de son propre collectif, ces questions doivent être au cœur de nos organisations. Faire de la diversité, le terreau de notre apprentissage collectif.


C’est avec toutes ces réflexions (et un peu d’appréhension), que je suis parti m’immerger aux Terrasses Solidaires de Briançon. À la frontière entre la France et l’Italie, j’ai aidé pendant 3 semaines des dizaines de bénévoles à offrir un espace de repos aux personnes exilées.


Là-bas, j’y ai découvert toute une coalition d’acteurs. Le Refuge Solidaire qui s’occupe de l'hébergement d'urgence des exilés, Tous Migrants qui porte leur voix en France, Médecins du Monde qui assure certains services médicaux, tandis que EKO! accompagne les éxilés dans leur autonomie en réalisant notamment des ateliers low-techs, véritables espaces de rencontres et de valorisation des savoir-faire.


Pour moi qui m’intéresse aux dynamiques d’apprentissage des communautés, je peux vous dire que j’ai été servi ! Dans ce lieu, ce sont des centaines de personnes et des dizaines de nationalités qui se mélangent. Un joyeux capharnaüm, où j’ai vécu 3 semaines riches en rencontres et en émotions.


De la gestion de l’urgence en temps de crise à la place inestimable de l’accueil, je vous partage dans cet article mes principaux apprentissages.

UN ACCUEIL INCONDITIONNEL

Lorsque qu’une nouvelle personne entre dans votre communauté, l’accueil est un moment charnière pour la suite de son expérience. Loin d’être anodin, il marque le début de l’aventure collective que vous allez vivre ensemble.

Cette première impression peut créer les bases d’une relation saine et durable. Pour autant, en la négligeant, vous pouvez complètement ruiner l’expérience de la personne au sein de votre collectif.


Au Refuge Solidaire, l’accueil est au cœur de leur mission. Malgré les urgences qu’impose ce type de lieu (préparation des repas, logistique, gestion des tensions, etc…), j’ai rarement vu autant d’attention portée à cette première rencontre.


Et si je devais retenir une chose de cette expérience, ce serait celle-ci : “Il est plus facile d’ouvrir une nouvelle porte, lorsque l’on sait qu’une personne nous attend derrière”.



Concert bénévole sur les terrasses

C’est pourquoi, la porte du Refuge est toujours ouverte ! Qu’importe l’heure à laquelle vous arrivez, il y aura toujours quelqu’un pour vous accueillir. Non pas un post-it qui vous indique un lit, ou une pancarte qui vous demande d’attendre dehors, mais bel et bien une personne en chair et en os.

Et je peux vous dire que cela fait toute la différence !


Même si cet accueil est bien sûr d’une tout autre dimension pour des personnes exilées venant de parcourir de nombreux kilomètres, je pense que chaque communauté peut s’inspirer de cette hospitalité.


Incarner vos valeurs dès ce premier contact est le meilleur moyen pour les diffuser au travers de chacun de vos membres.

Mais surtout, en accueillant personnellement chaque nouvel entrant, vous vous assurez que tout le monde est bien équipé pour vivre l’aventure collective de votre communauté !


Comme un guide de montagne qui prépare son groupe avant une randonnée, vous devez :

  • Vérifier que leur équipement est adapté (il ne faudrait pas laisser partir vos nouveaux membres en tongs quand même) : Est-ce que chacun maîtrise les outils de la communauté ? Est-ce que des personnes ont besoin d’une assistance particulière (une situation de handicap par exemple) ?

  • Leur donner une carte : Quelles sont les structures qui gravitent au sein et en dehors de votre communauté ?

  • Répondre à leurs questions : nous avons toutes et tous des doutes et des appréhensions, alors créons l’espace pour qu’ils puissent être exprimés.

  • Et vous pouvez même finir par une petite tape dans le dos : vous savez, ce petit mot réconfortant ou cette attention particulière qui vient encourager la personne à se lancer dans l’aventure.


Ces étapes sont pour moi la base essentielle de tout accueil. La plupart des communautés que je rencontre les réalisent en digitale (un simple livret d’accueil, un questionnaire en ligne, etc…). Pour autant, je suis persuadé que le temps consacré à les faire en personne a bien plus de valeurs. Un investissement en temps, pour plus de richesses humaines.


LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE IMPOSSIBLE

Alors qu’en revenant de mon immersion chez les Samis, j’étais en quête de l’équilibre parfait dans chacune de mes relations, mon expérience aux Terrasses Solidaires m’a permis de comprendre que cette quête n’était qu’illusoire !


Au milieu des personnes en situation d'exil, 3 semaines m’ont suffi pour faire ce constat : Les relations qui nous lient sont imprégnées par des rapports de domination.


En effet, en tant que bénévole, et donc responsable de leur nourriture et de leur logement, j’étais implicitement en position de force. Que je le veuille ou non, le fait d’avoir des droits qu’ils n’ont pas, influait directement sur les liens que nous développions.


Comme le dit si bien Hannah Arendt, “Si l’on nous sauve, nous nous sentons humiliés, et si l’on nous aide, nous nous sentons rabaissés”.


J’ai mis du temps à accepter cette réalité.

Mais elle est pour moi la clé pour apprendre de l’autre en toute authenticité.



Atelier couture par l'association EKO

Certes, les relations de pouvoir sont rarement aussi exacerbé qu’au sein des Terrasses Solidaires, pour autant, elles existent dans n’importe quel contexte.

Pensez simplement à l’organigramme de votre structure, à la valorisation de l’ancienneté dans votre communauté ou plus largement aux inégalités de genres.


Bien sûr, je pense qu’au sein d’une communauté, il est désirable de tendre vers des relations les plus horizontales possibles, sans rapport de domination. Néanmoins, je suis persuadé que cet équilibre ne sera jamais atteint. Le penser ne serait qu’une illusion.


Nous baignons dans un système tellement marqué par des relations de domination que nous ne pouvons pas complètement nous en extraire en quelques années.


Alors, bien qu’il soit essentiel d’essayer de tendre vers cet équilibre, il est pour moi tout aussi important de conscientiser le déséquilibre persistant.

Appuyez-vous sur des exemples concrets au sein de votre communauté : montrez que c’est souvent la voix des plus anciens membres qui porte le plus (à tort ou à raison), que ce sont souvent les plus diplômés qui impulsent des nouveaux projets, etc….


Je suis persuadé que c’est en rendant visibles ces relations de pouvoir que l’on empêche leur abus. Et puis surtout, c’est toujours une bonne occasion de connaître le chemin qu’il reste à parcourir.


S’EXTRAIRE DE L’URGENCE POUR CONSTRUIRE LE LONG TERME

L’une des problématiques les plus récurrente que je retrouve au sein des communautés à impact est la suivante : Comment penser long terme face aux urgences écologiques et sociales ?


Et cette question est plus que légitime ! En effet, dans un monde où les catastrophes écologiques et sociales se succèdent et s’amplifient, certaines situations nécessitent des réactions immédiates.


C’est pourquoi certaines organisations comme le Refuge Solidaire sont créées. Ce sont les “urgentistes” de la cause. Ils répondent à une crise humanitaire en proposant les services de bases aux personnes en situation d’exil. Sans elle, ce seraient des milliers de personnes qui dormiraient dans la rue avec la faim au ventre.


Pour autant, comme un hôpital ne peut uniquement fonctionner avec son service d’urgence, il est nécessaire d’avoir des organisations qui luttent pour cette cause avec une pensée long terme. Même s’il est indispensable de gérer l’accueil des exilés qui arrivent en France, il est tout aussi important de compléter cette stratégie par des actions de plaidoyer pour demander plus de capacité d’accueil, d’aider les exilés à s’insérer dans la société en les suivant dans leurs démarches administratives, etc…


Et ce travail doit être fait en coalition !

Construire la stratégie long terme en fonction de la réalité du court terme.

Mettre en place la stratégie court terme en fonction de la direction prise sur le long terme.


Soirée football au Refuge Solidaire

Cette collaboration demande du courage et de l’énergie. Elle peut être réalisée dans une même structure ou en coopération avec des structures distinctes.


Dans le cas des Terrasses Solidaires, c’est une coalition d’organisations qui se sont regroupées.

Mais cette coalition est malheureusement soumise à des situations de crise récurrentes. Face à l’augmentation des passages à la frontière et l’absence d’aide de l’État, le Refuge Solidaire se retrouve presque quotidiennement en surcapacité d’accueil. Lorsque j’étais sur place, nous accueillons jusqu’à 170 personnes pour 65 places disponibles. Dans ce genre de situation, le court terme l’emporte bien souvent sur le long terme.


Et quoi de plus logique, nous parlons de vie humaine !


Pour autant, en négligeant la stratégie long terme, on peut vite se perdre… Marcher (voir courir), sans ligne d’horizon, n’est jamais bon signe.


C’est pourquoi, je pense qu’il est essentiel de structurer sa communauté avec des cellules dédiées au long terme.

Mais pour que cette cellule fonctionne efficacement, il faut pour moi respecter 3 conditions :

  1. Qu’elle soit liée à la réalité court terme sans en dépendre. (Savoir ce qu’il s’y passe tout en prenant de la hauteur face à celle-ci).

  2. Qu’elle se situe spatialement éloignée des cellules dédiées du court terme (afin d’éviter d’être parasitée par la situation d’urgence).

  3. Qu’elle soit récurrente et irrévocable. (Prioriser autant le long terme que le court terme).


Alors que chaque communauté est plus ou moins confronté à des situations d’urgence, (si ce n’est pas encore le cas pour vous, cela devrait bientôt vous arriver), il est primordial de se demander :

  • Quelles sont les instances qui me permettent de construire ma communauté sur le long terme ?

  • À quel point ces instances sont elles perméables aux enjeux court terme ?

CONCLUSION

Pour être tout à fait honnête, j’ai écrit cet article, le cœur encore un peu lourd et l’esprit agité.

Ces 3 semaines au sein des Terrasses Solidaires furent extrêmement intenses. Autant physiquement qu’émotionnellement.


Dans ce lieu où tout se mélange, on croise des dizaines de cultures, on parle des dizaines de langues et surtout, on rencontre des centaines d’histoires. Ces histoires sont rudes, ce sont celles de femmes, d’hommes et d’enfants qui mettent leur vie en péril pour espérer un avenir meilleur.


Face à tant de détresse, je me sens un peu dépassé. Submergé par l’ampleur des enjeux sociaux. Totalement démuni.


Mais paradoxalement, c’est là où la misère est omniprésente que l’on retrouve le plus d’humanité ! Là-bas, j’ai découvert toute la puissance que pouvait porter un simple regard. Vecteur d’amour, il peut redonner de la dignité à celles et ceux qui en sont privés.


Ces regards, ces discussions, ces rires ne sont pas qu’un baume que l’on passe sur ces plaies sociales pour soulager la douleur. Ils détiennent selon moi les réponses aux enjeux que nous devons faire face. Ce sont nos anticorps pour lutter contre les crises d’aujourd’hui et de demain.

MES INSPIRATIONS

  • Trouver refuge de Stéphanie Besson : Pour toutes les personnes qui souhaitent comprendre la réalité qui se joue à Briançon. Sous la forme d’un journal de bord, on y découvre le récit d’exilés et de solidaires qui s’entremêlent.

  • Accueillir de Marianne Chaud, Isabelle Mahenc et Eloïse Paul qui retracent l’ouverture des Terrasses Solidaires. Un merveilleux documentaire pour s’immerger dans ce mouvement de solidarité.

  • Puisque la rencontre des cultures n’est rien sans le partage de la musique. Voici une petite compilation des musiques qui m’ont accompagné pendant ces 3 semaines !

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